L’idéal

Je sais que je plais aux filles.

Chaque reflet dans mon miroir me renvoi à l’image qu’elles ont de moi. La nature m’a offert tout ce qu’une femme peut attendre de l’homme parfait.

J’ai tout à donner: ma tendresse, mon attention, ma générosité, mon humour….Je suis l’amant idéal, c’est évident, elles en redemandent en criant .

La perfection faite homme.

Le problème, c’est mon exigence. Je suis parfait donc je mérite la femme parfaite. Je suis une perle rare, j’ai donc un mal fou à trouver mon pendant féminin. Ho, j’en ai eu des filles. Brunes, blondes, rousses, grandes, petites, minces, rondes…je les teste toutes. Je n’ai pas grand chose à faire, elles me tombent dans les bras. Elles pleurent une fois que j’en ai terminé mais qu’y puis-je? Je mérite tellement mieux. Je mérite l’idéal.

Depuis quelques heures, je l’ai trouvée.

Je l’ai croisée dans la rue. Ce n’est pas vraiment son physique qui m’a le plus attiré, c’est son air conquérant. J’ai vu tout de suite que cette fille sait qui elle est, qu’elle connaît son pouvoir sur les hommes. Elle marchait la tête haute, sa démarche volontaire et féline sur ses talons hauts accentuait son déhanché. Elle m’a fait fantasmer avant même que je plonge mes yeux dans les siens. Comme toutes les autres, elle a baissé le regard. Sans doute qu’elle me trouvait trop séduisant. C’est elle, j’en suis persuadé. Tout mon corps le ressent. Elle me ressemble dans son air de vouloir le monde à ses pieds. Il me la faut.

Je la suis depuis précisément 8 heures et 40 minutes.

Elle n’a rien vu pour le moment, accaparée par ses occupations. J’ai pris le même métro qu’elle et j’ai surveillé chaque potentiel rival qui pourrait me la ravir. Les hommes la mataient comme un vulgaire morceau de viande. Il y en a même un qui a voulu tenter sa chance en lui demandant l’heure. Prétexte vulgaire indigne d’une fille comme elle. Elle lui a souri et je n’ai pas aimé ça mais je suppose que les conventions sociales sont de rigueur dans certaines situations et puis cela prouve sa bonne éducation. Parfaite.

Moi, quand je l’aborderai, je la regarderai dans les yeux et je lui dirai à quel point elle éclipse toutes les autres, à quel point elle me mérite et qu’elle est faite pour moi. Elle ne pourra pas résister, je le sais car aucune n’y a résisté.

Quand elle est descendu du métro, tous les hommes se sont retournés sur elle. Le genre de fille qui n’a pas d’amies parce qu’elle leur volerait la vedette. Ça me va parfaitement, je veux être son seul ami. Je peux même être frère ou père si elle le souhaite. J’espère qu’elle n’a pas de famille.

A la sortie du métro, j’ai pu marcher dans son ombre et les effluves de son parfum chatouillaient mes sens. Mes poils se hérissaient sur mon corps tant je la désirai, je l’aurais suivie même aveugle, son odeur reconnaissable entre toutes m’enivrait.

Elle ne s’est pas retournée mais une part de moi savait qu’elle me sentait, qu’elle m’attendait. Je m’imaginais déjà à ses pieds, lui offrant mon amour. Elle, rougissante, ne pourrait que tomber immédiatement sous mon charme et je l’emmènerais là où je pourrais la combler de bonheur et la traiter comme elle le mérite.

Elle est entrée dans un immeuble et je suppose que c’est là qu’elle travaille. Je suis sûr qu’elle a un poste à responsabilité. Une fille comme ça ne peut qu’accéder à de hautes sphères. Elle respire l’assurance et l’audace. Sur les plaques de l’entrée, il y a des avocats, des médecins, des dentistes… Elle ne peut pas être une vulgaire assistante dentaire ou une banale secrétaire médicale, ce n’est pas assez bien pour elle. Non, elle est avocate. Elle plaide au tribunal, défend les nobles causes. Aucun juge ne lui résiste, aucun jury ne l’ignore. Elle les subjugue tous. Elle est parfaite.

Je décide de l’attendre en bas de l’immeuble. J’irais bien en quête d’un fleuriste pour l’aborder avec un bouquet mais je crains de rater sa sortie. Tant pis, j’attends sur le banc, je n’ai nul besoin d’artifice pour séduire de toute façon.

Je passe le temps en imaginant la vie de rêves que nous aurons, les enfants magnifiques que nous ferons. Je la couvrirai de cadeaux, elle aura tout pourvu qu’elle soit à moi. Je n’imagine pas ma vie sans elle à mes côtés. Je l’ai tant cherchée que maintenant que je la tiens, elle ne peut pas m’échapper. Les heures qui défilent me comblent de joie parce que je sais qu’en la retrouvant, mon plaisir sera décuplé.

J’attends depuis si longtemps sur ce banc froid que je n’ai plus aucune idée du temps qui s’est écoulé. Seule la course du soleil dans le ciel m’en donne une vague estimation. Mon regard n’a pas dévié de cette porte d’immeuble, je dois avoir l’air d’un demi-fou. Je ne suis pourtant qu’un homme qui attend la femme qu’il aime.

Lorsqu’elle sort enfin, mes muscles ne réagissent pas tant ils sont immobiles depuis des heures. Il me faut quelques secondes pour enfin me précipiter à sa suite. Je pourrais l’aborder maintenant mais je veux d’abord la connaître mieux, même si j’ai cette sensation qu’on tous les gens amoureux: celle de percevoir et de posséder son âme avant même d’entendre le son de sa voix.

Je réussis à prendre le même métro qu’elle sans qu’elle m’aperçoive. Au fond de moi, je suis persuadé qu’elle sait que je suis là mais qu’elle n’ose pas faire le premier pas. Comment le pourrait-elle? Je les intimide toutes et puis je n’aime pas les femmes entreprenantes. J’ai des valeurs chevaleresques, un peu désuètes peut-être, mais les filles aiment les gentlemen tels que moi.

Lorsqu’elle descend de la rame, je lui emboîte le pas. Ombre parfaite dans son sillage. J’attends encore un peu pour me dévoiler, j’attends le moment idéal. L’obscurité du soir me camoufle et je peux la suivre jusqu’à un petit immeuble où je la vois sortir ses clés. C’est donc là qu’elle habite.

Je la vois entrer et quelques minutes plus tard, une lumière s’allume au second étage.

Je prends ma décision en quelques secondes, je ne peux plus attendre. J’appuie sur la dizaine de boutons d’appel qui se trouvent à l’entrée, quelqu’un ouvre toujours sans demander qui cela peut être. Il n’est pas tard, les gens n’ont parfois aucune méfiance.

Au second étage, je m’arrête devant sa porte. Hésitant. Cela ne me ressemble pas, je suis toujours si sûr de moi. Je colle mon corps contre cette cloison qui me sépare d’elle, j’appuie mon oreille contre le panneau de bois pour percevoir les quelques sons qui s’échappent. Elle parle. A qui? Pourquoi? Est-ce qu’un homme vit avec elle? Mon corps entier est pris de tremblements à l’idée qu’un autre puisse poser ses mains sur elle. Je ne peux imaginer qu’elle appartienne à un autre que moi.

Je l’entends rire. Un rire de gorge, un rire de séductrice, de ceux que les femmes utilisent quand elles veulent plaire. Je n’entends personne répondre, elle parle au téléphone. Mais elle parle à un autre homme. Elle est en train d’accepter un rendez-vous. Elle va sortir avec un autre. Elle me trompe. C’est inacceptable. Elle n’a pas le droit. Elle est à moi. Ma tête me fait mal. J’enfle de l’intérieur. Mon cœur implose. Je ne respire plus. Elle me trompe. Je suis parfait. Encore une. Pourquoi.

Elle a raccroché.

Je sonne.

Elle ouvre. Innocente. Inconsciente. Parfaite. Non. Sourcils froncés. C’est pour quoi? J’avance. Pied dans la porte. J’ai l’habitude. Peur dans ses yeux. Comme les autres. Ma tête va exploser. Mes os ont mal. Elle va crier. Une main sur sa bouche. L’autre autour de son cou. Je ne vois plus rien. Larmes qui m’aveuglent. Son corps contre le mien. J’ai trop mal. Je t’aime tant. Serrer. Serrer. Plus fort. Pas crier. Chut. Ferme les yeux. J’ai mal. N’aies pas peur. A moi. Tu es belle. Tu es parfaite. Pour toujours. L’idéal.

Nathalie, 05/06/2017