Feu

FEU

Nouvelle

feu

J’adore mon institutrice !

Elle s’appelle Mme Bassimont et quand j’ai mes 10 images, elle m’offre un livre. Comme je suis une petite fille très sage, j’en ai plein. J’ai 6 ans et c’est moi qui lit le mieux dans ma classe. Ma maîtresse, elle m’appelle son «  petit train »  et le dernier livre qu’elle m’a offert c’est « Tchou, la petite loco ». J’adore quand la fumée sort de sa petite cheminée ! Elle monte vers le ciel comme si elle voulait rejoindre les étoiles.

Ma maman me raconte des histoires tous les soirs, mais ce sont des histoires de lapins, pas de locomotive. J’aime bien les lapins, il y en a plein dans les clapiers derrière la maison. Mais les lapins, on les mange. Je le sais, j’ai vu mon papa en tuer un et le soir, il y avait sa tête dans l’assiette de mon grand frère. La tête du lapin, pas celle de mon papa ! Les locomotives, elles, on peut pas les manger.

J’adore ma maman mais j’aime pas quand elle est triste et c’est souvent depuis qu’on a déménagé. C’est pour le travail de mon papa mais je vois bien qu’elle se plaît pas ici et qu’elle a pas d’amie, comme moi. Pendant que ma maman est seule à la maison, moi je suis seule à mon école et dans la cour de récréation. Ça me dérange pas tant que ça, j’aime bien être toute seule et puis, comme ça, je fais un peu comme ma maman.

Mon papa, lui, il travaille et il joue au tiercé. Parfois, il reste des heures assis à la table de la cuisine, à faire et refaire ses combinaisons de numéro. Je ne sais pas s’il gagne ou s’il perd, il ne dit jamais rien mon papa. De temps en temps, il me prend sur ses genoux pour m’offrir ces petits bonbons en formes de croissants d’orange que j’adore. Il sent le vin mon papa. J’aime pas beaucoup ça et ma maman non plus. Je le sais, je les entends crier la nuit quand je suis couchée et une fois, j’ai vu ma maman changer les draps du lit en pleurant. Je crois que mon papa il avait fait pipi au lit. Je savais pas que ça pouvait arriver aux grands aussi.

J’ai rien dit mais j’ai plus jamais fait pipi au lit.

 

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J’aime bien aller chercher le lait à la ferme.

Depuis que j’ai 8 ans, j’ai le droit de le faire. C’est pas très loin de la maison, alors je peux y aller toute seule. La fermière est pas très gentille. Elle parle pas le français et je ne comprends rien à ce qu’elle me dit en alsacien ! Alors je ne dis rien. J’attends qu’elle prenne le pot à lait presque aussi grand que moi pour remplir le mien. Elle marmonne en même temps et elle est si vieille et si ridée que son visage me fait penser aux sillons des champs après le labour. Une fois j’ai attendu longtemps que la vieille fermière arrive. Si longtemps, que j’ai fini par vouloir me servir toute seule. L’énorme pot à lait était si lourd qu’il est tombé et que tout le lait s’est répandu sur le sol. C’était beau, on aurait cru une marée de lait, ça faisait des vagues toutes blanches. La fermière, elle, a pas trouvé ça beau. Elle est arrivée au même moment en hurlant en alsacien. J’ai rien compris mais je ne suis plus jamais retourné chercher le lait. Les vieilles fermières, ça n’aime pas les enfants et les jolies rivières de lait.

J’aime bien la campagne ici. Il y a plein de vignes et d’arbres fruitiers, des collines et des champs de foin où je peux me faire rouler. Au mois de juin, c’est la fête de la Saint-Jean et il y a un grand feu au village. Le soir, les grands ont le droit d’aller au bal. Moi, je dois aller me coucher mais je peux quand même regarder le feu et c’est ce que je préfère.

Les flammes montent si haut qu’on dirait des milliers de petits bras qui voudraient allumer le ciel. Mais ça, c’est impossible. Ou alors il faudrait des milliers de feux, brûlant tous en même temps. C’est peut être comme ça que les étoiles sont nées.

Ma maman est très triste ces derniers temps et je commence à comprendre pourquoi. La semaine dernière , elle a trouvé des tonnes de bouteilles cachées dans le coffre de la voiture. Elle les a toutes fracassées contre le mur du garage du voisin. Il y en avait des vides mais les pleines ont laissé des traînées toutes rouges sur le mur. C’était joli, c’était comme des flammes mais au lieu de monter vers le ciel, elles cherchaient la terre. Un feu, ça monte, ça ne descend pas. Et un feu ça sent bon le bois qui brûle, pas le vin rouge.

Mon père cache toutes ses bouteilles un peu partout dans la maison. Je le sais, j’en ai retrouvé dans mon bac à sable. J’ai pas compris tout de suite sur quoi ma pelle en plastique butait.

J’ai rien dit mais j’ai plus jamais fait de château de sable.

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J’aime pas les anniversaires.

Les autres m’ont invitée parce qu’elles n’avaient pas trop le choix. Des filles de 10 ans, dans un village de 600 habitants, ça se ramasse pas à la pelle alors pour jouer à cache-cache dans les ruelles, une de plus, c’est pas du luxe. Elles passent leur temps à me traiter de « chouchou de la maîtresse ». Elles ont qu’à travailler et faire leurs devoirs si elles veulent la même chose.

Je voulais pas y aller mais maman a insisté et comme je suis une fille bien élevée, je me suis forcée, comme je me suis forcée à dire oui quand les grands du village ont voulu voir ma culotte la dernière fois, sur le chemin de l’étang.

Je passais toujours par là le soir pour apercevoir le couple de cigognes qui a élu domicile sur le toit du vieux moulin. Ça me faisait faire un détour mais ça en valait la peine.

Je les ai vus de loin mais je me suis pas méfiée. C’était juste des grands qui ne faisaient rien, des copains de mon grand frère que je voyais de temps en temps passer sur leurs mobylettes pour frimer devant les filles.

Ils m’ont bloqué le passage et j’avais beau regarder le sol comme si je pouvais m’y enfoncer, ils ne m’ont pas laissé passer.

J’étais pas vraiment d’accord, je comprenais pas pourquoi ni à quoi ça allait leur servir. Une culotte est une culotte. Pourquoi la mienne ?

Je voulais juste qu’ils me laissent tranquille alors j’ai dit oui, j’ai posé mon cartable et j’ai soulevé ma jupe. Je risquais pas grand chose après tout, même s’ils étaient quatre. Qu’est ce qu’ils pouvaient bien me faire de pire que de tirer sur ma queue de cheval ou m’enfoncer de la neige dans mon anorak en hiver ? Je pouvais peut-être éviter tout ça, juste en montrant une culotte.

J’ai commencé à avoir peur quand l’un d’entre eux m’a dit de l’enlever. Je sais bien qu’il y a une différence entre les garçons et les filles mais j’avais pas envie de leur montrer la mienne. Ils ricanaient comme des idiots autour de moi en me bloquant le chemin. J’étais pas d’accord, tout ce que je voulais c’était rentrer à la maison. Et puis s’ils voulaient voir à quoi ressemblait une fille, ils avaient qu’à demander à leurs sœurs ou à leur mères.

Je me suis élancée pour m’enfuir mais un des quatre crétins m’a retenue par cette satanée queue de cheval et je suis tombée en arrière, m’écorchant les paumes sur les graviers au passage. Ils m’ont maintenue par terre comme un chiot trop vif qu’on essaie de calmer. L’un d’entre eux tenait mes bras, deux autres les jambes et ils ont enlevé ma culotte.

J’ai fermé les yeux parce que j’avais pas envie de voir les leur. J’avais les jambes écartées et j’avais beau essayer de les resserrer, rien n’y faisait. Une gosse de 10 ans fait pas le poids face à quatre garçons de 16 ans élevés aux vendanges et aux récoltes de pommes de terre.

J’ai pas entendu le moindre son pendant ce qui m’a paru une éternité et puis l’un d’entre eux, je ne sais plus lequel, a dit que maintenant il fallait le faire, qu’ils n’avaient plus le choix.

A ce moment là, je me suis demandé ce qu’ils pourraient bien faire de pire. Me tuer ?

J’avais toujours les yeux fermés. Je les plissais si fort pour ne pas qu’ils s’ouvrent que je me demandais s’ils n’allaient pas rester collés pour toujours. Je voyais tout rouge sous mes paupières, comme si un feu y flambait.

Ils étaient toujours en train de parler mais je ne comprenais déjà plus vraiment ce qu’ils disaient. Mes pensées étaient parties loin, je me voyais auprès d’une cheminée en hiver, le feu crépitant doucement dans le foyer pendant que la neige tombait dehors ou encore dansant autour d’un feu de joie, regardant les flammes monter, monter si haut qu’elles embrasaient le ciel.

Il y a eu le bruit d’un zip, de vêtement qu’on enlève et après le rouge, tout est devenu noir.

Je me suis réveillée sur les graviers du chemin. J’avais mal partout et surtout entre les jambes. J’avais du sang à cet endroit. Ça m’a fait peur, je ne comprenais pas ce qui avait pu arriver. Ils avaient dû essayer de me tuer mais avait sûrement abandonné l’idée.

J’ai attendu que mes jambes tremblent moins pour me relever, que mes larmes sèchent pour que je puisse y voir. J’ai cherché ma culotte que j’ai enfilé à l’aveugle, j’ai refait ma queue de cheval et je suis rentrée, boitant de douleur et espérant que maman serait au jardin pour qu’elle ne me voie pas, j’avais trop honte d’avoir accepté de montrer mes sous-vêtements.

Elle y était. J’ai rien dit mais j’ai plus jamais fait de détour.

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Je déteste le collège. Je déteste mes parents.

Les profs sont des abrutis et dès que je peux, je sèche les cours. Faut dire qu’à 14 ans, j’ai appris à imiter la signature de ma mère à la perfection . Alors je m’invente des excuses, j’ai une imagination sans fin et je joue la comédie comme une pro quand je suis censée être malade ou avoir perdu ma grand-mère. Ça en mériterait presque un BEPC mention spéciale « meilleure actrice ».

Je vais souvent zoner à la salle de jeux au centre ville. Des tas de garçons y traînent aussi et comme je me suis fait une réputation de fille facile, ils sont toujours assez contents de me voir.

Je roule des pelles comme personnes entre le baby foot et le flipper.

De toute façon, ma mère, elle s’en fout. Elle se pointe même pas aux convocations qu’elle reçoit du principal. Elle est bien trop engluée dans sa petite et triste vie. Mon père, depuis sa cure ,il boit plus une goutte d’alcool mais il a dû oublier qu’il avait des gosses. J’ai pas droit à un seul regard, alors mes notes et mon bulletin…c’est de la science-fiction pour lui.

Je lui pique tout le temps des pièces dans son portefeuille pour acheter mes clopes. Il s’en rend pas compte ou alors il s’en cogne.

Avec des potes, on a sniffé de la colle dans un sac en plastique. C’est marrant, ça fait tourner la tête et après j’ai eu un fou rire. Du coup, je me suis laissée un peu tripoter par deux d’entre eux. Quand ils m’ont mis la main dans ma culotte, ça m’a fait bizarre, comme si je me rappelais de quelque chose mais sans que j’arrive à savoir quoi. Ça faisait un peu mal mais je les ai laissé faire. Je sais pas vraiment dire non, je suis une fille bien élevée.

La semaine dernière, je suis allée voir le feu d’artifice en ville.

Il y a pas plus beau qu’un feu d’artifice. Toutes ces lumières qui illuminent le ciel, qui l’embrasent de toutes les couleurs comme si des étoiles naissaient, c’est la plus belle chose que j’ai jamais vue de toute ma courte vie. Je suis restée là jusqu’à la fin, les yeux rivés vers le ciel. Tout était si parfait que j’aurais voulu que chaque particule de mon corps, chaque atome se transforment en étincelles pour les rejoindre.

J’ai pris le chemin le plus court pour rentrer. Je les ai vus de loin mais je me suis pas méfiée. C’était juste des mecs qui traînaient, des potes de mon frère qui passaient leur temps à frimer dans leur caisse, histoire d’appâter les filles à coups d’accélérateur.

Ils m’ont barré le passage, m’ont demandé si je me souvenais d’eux et si aujourd’hui, je portais une culotte. J’ai ri. Un peu gênée, un peu flattée, un peu apeurée. Pourquoi me demandaient-ils ça ?

Je voulais juste rentrer me coucher alors j’ai répondu que c’était pas leur problème et j’ai poursuivi mon chemin. Ils ne me faisaient pas peur, ils n’étaient que quatre.

L’un de ces bouffons m’a retenue par ma queue de cheval et je suis tombée en arrière, m’écorchant les mains au passage sur le macadam. Ils m’ont maintenue à terre comme un jeune chien qu’on tente de calmer. L’un d’entre eux me tenait les bras, un autre m’a fourré un chiffon dégueulasse dans la bouche. Ça sentait le cambouis, ça puait la sueur. J’ai fermé les yeux si forts que je voyais des lumières rouges derrière mes paupières. Et puis je n’ai plus rien vu. Je crois que je me suis évanouie.

Quand j’ai émergé, j’étais couchée dans la ruelle. J’avais mal entre les jambes. Tout mon corps avait mal, je brûlais de l’intérieur. J’étais une torche, une flamme géante qui allait tout consumer sur son passage.

Je me suis relevée péniblement, les jambes tremblantes, des larmes séchées plein les yeux, le cerveau et l’âme en cendres et je me suis mise en route vers la maison, espérant que ma mère soit couchée pour qu’elle ne me voit pas.

Elle l’était. J’ai rien dit mais j’ai plus jamais pris de raccourci.

 

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Je hais mon travail.

Toute la journée, je supporte les clients aigris qui me disent à peine bonjour quand ils passent à ma caisse. Scanner, encaisser, sourire. Bonjour, s’il vous plaît, merci, au revoir. Heureusement que je suis une fille bien élevée.

Chaque jour, je vois passer tout le menu de leur triste vie. Les pressés et leurs plats surgelés, les mères de famille et leurs chariots qui débordent, les vieux et leurs bons de réduction, les poivrots et leurs bouteilles.

On imagine pas à quel point la vie d’une personne se lit dans son caddie. Alors je lis, toute la journée. Des histoires d’amour dans quelques pétoncles et un bon vin. Des drames dans un mauvais whisky et des chips discount. Des épopées familiales dans un paquet de couches et des petits pots.

Et je rêve que toutes ces vies minables s’envolent en fumée, que toutes ces pages d’existences inutiles et vaines brûlent, de la première à la dernière.

La semaine dernière, j’ai fêté mes 25 ans. Seule dans mes 30 m2 sordides et meublés d’occasions sans beautés ni charmes. J’ai acheté une part de mille feuilles, mon dessert favori et j’ai planté une bougie en plein milieu.

J’ai fait un vœu en soufflant mais je ne peux pas en parler, il ne s’exaucerait pas.

Depuis quelques temps, je sors discrètement des tas de choses du magasin où je travaille.

J’ai fait une liste qui me semble exhaustive : alcool, acétone, diluants, journaux. Tout mon stock est entreposé dans ma chambre, je crois que je suis prête.

Il faut dire que je prépare ça depuis un bon moment.

C’était il y a 6 mois, précisément. Je rentrais chez moi et j’ai vu le camion de déménagement.

Je ne me suis pas méfiée mais, dans les escaliers, je les ai reconnus. Ils étaient tous là , tous les quatre. J’ai rasé les murs autant que possible en regardant le sol comme si je voulais qu’il m’avale mais ils m’ont vue, j’en suis sûre.

C’est pour cette nuit. Le plus beau feu de la St Jean. Mon feu.

 

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J’ai imprégné tous les journaux, j’en ai disséminé sur tout leur étage et devant leur porte. Le feu commence à bien prendre. C’est fou comme l’acétone est inflammable. Les flammes ont déjà commencé à attaquer la porte, bientôt elles vont entrer pour tout nettoyer, tout purifier.

Je voulais sortir pour admirer le spectacle, voir le ciel s’embraser, les étoiles briller, … mais je crois que je vais rester pour regarder, ne rien dire et ne plus jamais….

 

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